le démantèlement

le démantèlement

un 14 juillet… " explosif "

 

Le maire, André Faucquette, avait voulu donner une solennité particulière à l’ouverture, symbolique, de la première brèche. L’explosion de mines était prévue au Bastion de Beaulieu, en présence des autorités de la Commune, après la revue du 14 juillet.

 

Le 14 juillet n’était Fête Nationale que depuis le 31 janvier 1879. Cette décision — ainsi que l’adoption de
« La Marseillaise » comme hymne national — avait fait l’objet du premier vote des Chambres revenues de Versailles à Paris.

 

« Pour moi, ce ne sera pas sans la plus vive satisfaction que je verrai donner le premier coup de pioche qui nous délivrera de nos vilaines fortifications et que je saluerai le départ de ces braves gardes du Génie qui avaient la triste mission de nous embêter quand nous frappions un malheureux piquet dans nos jardins. »

 

Il y a tout juste cent ans, le quatorze juillet 1893, était donné à Aire le premier coup de pioche du démantèlement.

 

En fait, les travaux avaient commencé le mardi 4 juillet. Des ouvriers avaient renversé, dans les fossés, une muraille légère et établi une brèche au fond de la Manutention, à l’extrémité d’un large couloir qui donne sur la place du Château. Visible de la rue de Saint-Omer, la poterne recevait la visite de nombreux curieux. Chacun venait constater que le hameau de Moulin-le-Comte, auquel on ne parvenait qu’après une longue promenade autour des glacis, n’était plus qu’à quelques pas de là. Déjà des ouvriers travaillaient sur la crête des remparts et descellaient des pierres de taille. Vénérables murs qui avaient résisté à l’outrage des ans et aux canonnades terribles des siècles derniers et qui allaient être jetés bas par la dynamite.

 

La Fête Nationale avait été l’occasion de la première explosion de mines. Après la magnifique cérémonie militaire sur la Grand-Place qui avait vu fantassins et dragons se succéder en pelotons serrés et la traditionnelle remise de décorations saluée par les sonneries militaires et les fanfares de la musique, le cortège des officiels se dirigeait vers le Bastion de Beaulieu.

 

Le programme annonçait une explosion de mines qui inaugurerait d’une manière officielle le démantèlement. Un millier de personnes occupaient la crête du rempart entre la Manutention et le Mont de Biennes, tandis que l’Administration municipale et les sapeurs-pompiers franchissaient la poterne et s’étageaient sur le Bastion.

 

L’écho de la Lys  du jeudi 20 juillet 1893 nous relate ainsi la scène : « M. Faucquette, maire, a allumé la mèche reliée aux deux cartouches de dynamite, un léger craquement s’est produit et sous les regards braqués de toutes les directions, un coin du mur s’est allongé au fond du glacis. Le démantèlement était commencé. La foule qui rêvait au moins d’un saut de briques jusque dans la lune a été désorientée de voir que les mines, qui vont jeter en bas tous nos remparts, font si peu de bruit. »

Fallait-il démanteler ?

 

Le 20 mai 1888, André Faucquette est une nouvelle fois élu maire d’Aire (il l’avait déjà été de février 1881 à août 1883). Comme ses prédécesseurs, il réclame le déclassement de la place d’Aire, la guerre de 1870 ayant rendu ce genre de défenses inefficaces et inutiles. En octobre 1888, il a gain de cause. En effet, dans une lettre datée du 26 octobre 1888, le lieutenant-colonel Lehagre, Directeur du Génie, lui fait savoir que le Ministre de la Guerre s’est prononcé le 1er octobre 1888 pour le déclassement de la Place d’Aire, « mais à condition que cette place serait démantelée, de manière que l’ennemi ne puisse en tirer parti ».

 

Il ajoute une autre condition : la municipalité doit « prendre l’engagement de supporter entièrement la dépense du démantèlement ». Parlant au nom du Ministre de la Guerre, il insiste : « Il y a là en ce qui concerne l’organisation générale des défenses de nos frontières une question de patriotisme sur laquelle je crois inutile d’insister ». Et enfin comme si cet argument ne suffisait pas, il évoque « les avantages que les villes retireront de leur déclassement : suppression des servitudes et des entraves de toutes sortes que la présence des remparts apporte forcément sur le développement des villes et à la circulation, enfin abandon probable d’une partie des terrains militaires devenus disponibles ». En 1892, André Faucquette est triomphalement réélu maire et Aire aura pendant douze ans un conseil municipal homogène de 23 républicains.

 

Il peut alors se consacrer à cette œuvre considérable qu’est le démantèlement d’Aire. Et il semble avoir convaincu la majorité des Airois. Rares sont ceux qui, à l’époque, gémissent sur la disparition des fortifications. La mode est au modernisme et il faut le reconnaître, la ville étouffait dans son carcan de murailles, de fossés, d’ouvrages divers et de terrains vagues sur lesquels il était impossible de construire. Et le point de vue de cet Airois semble traduire l’opinion générale : « Je laisse aux rêveurs les regrets des promenades autours des remparts et je ne puis que me féliciter très vivement de voir tomber des murs qui ne peuvent plus nous protéger contre l’ennemi et qui n’ont jamais eu que cette seule utilité ; je suis surtout excessivement heureux de voir combler ces sales plats-fossés où une eau croupissante nous apportait chaque année des fièvres paludéennes qui ont fait la fortune des pharmaciens d’Aire, vendeurs de quinine. »

Dans ses démarches auprès de l’Administration, Faucquette trouve en la personne d’Alexandre Ribot un allié de choix. Député depuis 1889, ministre, puis Président du Conseil des Ministres depuis le 6 décembre 1892, Ribot se fait l’avocat de la ville d’Aire. Dans un courrier de la Présidence du Conseil, adressé au maire d’Aire, en date du 19 décembre 1892, le chef du cabinet du Président confirme : « Quant à l’affaire du démantèlement, vous pouvez être certain que M. Ribot y donne tous ses soins… Je suis allé trois fois aux Finances y faire de sa part de pressantes démarches. »

Le résultat ne se fait pas attendre. Le 13 avril 1893, Sadi Carnot, Président de la République, signe le décret prononçant le déclassement définitif de la place d’Aire.

 

Le démantèlement qui suscite depuis si longtemps tant d’espoirs va enfin pouvoir se faire

A quels objectifs répond-il ?

 

Il faut savoir que la commune d’Aire présente en 1893 un aspect tout autre que celui que nous lui connaissons actuellement. Elle comprend deux parties bien distinctes :

la ville intra-muros et la banlieue. On peut même dire qu’elles n’ont aucun lien entre elles.

La ville est séparée de la campagne par une triple enceinte de murailles coupée de trois fossés et par une zone de servitude où il est défendu de bâtir. La banlieue est composée de treize hameaux distincts placés à deux, trois, quatre, cinq kilomètres des murs.

La superficie des terrains de fortifications qui entourent la ville est d’environ 100 hectares.

35 hectares sont réservés par l’Etat, notamment pour l’agrandissement des casernes Crémilles et la réalisation d’un champ de manœuvres derrière les casernes Taix et Listenois. 20 hectares ne seront pas dérasés immédiatement. Restent donc 45 hectares à niveler et qui vont faire retour à la ville.

 

Quelle fut l’utilisation par la ville d’Aire des ces 45 hectares et quel a été le coût des travaux ?

 

La première chose à faire était de créer des voies d’accès qui permettent d’arriver plus facilement au centre de la ville. La commission de démantèlement avait prévu la création de huit nouvelles routes, notamment à partir de la route de Saint-Omer et de la route d’Hazebrouck. Il fallait aussi créer un nouvel accès à la gare et à certains hameaux comme Neufpré et Lenglet, et prolonger certaines rues qui venaient buter sur les fortifications.

Il fallait ensuite aménager les voies d’eau — Lys et Oduel — pour éviter les inondations, élargir la Lys à la Porte à l’eau et créer deux nouveaux quais sur les rives de la Lys. La salubrité était à l’ordre du jour et la création d’un égout collecteur indispensable.

Ces travaux de voirie, de ponts et d’égouts nécessitaient une somme de 200.000 francs. Les travaux de dérasement étaient estimés à 300.000 francs.

La première tranche de travaux représentait une somme globale de 500.000 francs, somme considérable à une époque où le salaire horaire d’ouvrier était de 0,30 franc.

 

Contre… Le démantèlement

 

« La ville d’Aire n’aura plus de cachet, ce sera un grand village. Les belles fortifications de Vauban auraient dû être conservées comme un vestige de l’ancien temps. »

 

Pour… Le démantèlement

 

« Depuis les terribles canonnades des siècles derniers, ces murailles ont gardé un repos absolu, et les réparations du Génie, en ces derniers temps, étaient calculées de manière à ne pas les laisser crouler, mais l’enceinte, qui ne recevait plus que des replâtrages rapides, n’était pas bien terrible ; il fallait beaucoup d’eau dans les fossés pour la protéger. Les derniers souvenirs militaires s’arrêtent en 1870.

Depuis lors, les ruines ont encore augmenté, et les gamins, les promeneurs et les maraudeurs, trouvaient de toutes parts, le long des maçonneries, des coins perdus où ils grimpaient aisément sans faire la courte échelle, à la faveur des pierres écroulées pour rentrer en ville sans passer par les portes. Somme toute, les fortifications laisseront peu de regrets et les fossés encore moins. »

la fin des travaux

 

En 1895 et 1896, les derniers travaux de démantèlement ont lieu autour de la Porte Notre-Dame qui « simulait encore un reste de ville fortifiée ».

En décembre 1896, le démantèlement est pratiquement achevé. La dynamite a fait table rase des fortifications. N’ont échappé au pic des démolisseurs que la porte de Beaulieu et le bastion de Thiennes, acheté par Abel Delbende, futur maire d’Aire, qui utilisa les casemates comme cellier. Les portes d’Arras et de Saint-Omer furent réédifiées en 1898, place des Fêtes, sur ordre du maire, malgré les réticences du Conseil municipal.

 

Les objectifs que s’étaient fixés la Municipalité et la Commission de démantèlement ont-ils été atteints ?

 

La Ville a été agrandie et son accès facilité ; un réseau de boulevards, plantés d’arbres, ceinture maintenant Aire. Les inondations ont cessé d’être un fléau et l’hygiène, la salubrité ont progressé.

 

Mais le démantèlement a-t-il été le « point de départ d’une nouvelle ère de prospérité » ?

 

La ville a-t-elle bénéficié de l’extraordinaire développement économique qui touche notre région en cette fin de XIXe siècle ? Certes non. Le démantèlement intervient trente ans trop tard et l’industrie ne s’installe pas à Aire.

 

Alors fallait-il démanteler ?

 

Rêvons un instant… Imaginons Aire parée de sa ceinture de murailles… Renaissent alors courtines et bastions, demi-lunes et contre-gardes, poternes et redoutes, promenades sur le chemin de ronde et les glacis… « Les pierres parlent à ceux qui savent les entendre. » prétend le poète.

Que de souvenirs les vieilles pierres d’une si jolie petite ville pourraient évoquer en ce XXIe siècle !

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