architecture industrielle

Aire, chef-lieu de canton de l’arrondissement de Saint-Omer, est une ancienne place forte de l’Artois, à la limite de la Flandre. Après avoir été ruinée par les invasions normandes, la ville de haut Moyen-Age fut reconstruite à l’initiative de Beaudoin de Lille, comte de Flandres, qui y fonda une collégiale en 1060. Ce choix s’explique par les multiples atouts du site : la présence de la Lys, des terres aisément inondables pour assurer la défense et très fertiles, deux forêts proches pour assurer l’approvisionnement en bois. A la Lys s’ajoutent d’autres cours d’eau secondaires, parmi lesquels : la Lacquette qui, après avoir traversé la ville du Sud au Nord, se jette dans la Lys ; le Sernois, bras séparé de la Lys canalisé au XVIIIe siècle pour fournir la ville en eau potable, connu aujourd’hui sous le nom de Servoir ; l’oduelle et le Mardyck qui venaient fondre leurs eaux dans les fossés de la ville. Le site d’Aire ne pouvait que séduire les marchands désireux de se fixer en ce lieu, assurés d’y trouver une clientèle, un quai et un marché. A son tour le commerce amena l’industrie attirée par l’eau, source d’énergie.

 

Si le XIe siècle fut pour l’Europe occidentale l’époque de la renaissance urbaine, il le fut tout spécialement pour les villes du comté de Flandre où le processus de formation s’avéra toujours le même : marchands et artisans, hommes libres constituant une classe nouvelle, s’installèrent près de castra nouvellement fondés ou de cités anciennes - comme Gand ou Arras - formant ce qu’on appelle le « portus ». Nulle part ailleurs ce processus n’est plus évident qu’à Aire où se juxtaposent deux quartiers. L’un comprend la salle comtale, l’église collégiale, les maisons claustrales, le moulin, la prison, c’est à dire le castrum. L’autre, que construisent les marchands, est le bourg établi autour de deux axes, l’un routier formé par les deux voies - routes d’Arras et de Saint-Omer - l’autre fluvial : la Lys et son quai.

 

A l’aube du XIIe siècle, Aire avait déjà acquis une importance urbaine considérable. Elle se situait immédiatement après les grands centres qu’étaient Arras, Bruges et Lille, au même rang que Bergues. Elle devançait alors Saint-Omer et Gand. Le « fossoyement » du canal appelé Neuffossé par Beaudoin V pour joindre l’Aa à la Lys avait renforcé par ailleurs le système défensif de la cité,, complété par la construction de remparts comme dans toutes les villes flamandes. Il n’est donc pas étonnant qu’Aire ait été l’une des premières villes de Flandres à recevoir un « keure » (confirmation écrite de ses libertés et privilèges) dans les années 1180. La ville reste liée au comte de Flandre et, dès 1201, elle a à sa tête un fonctionnaire - le bailli - et non plus le châtelain. Elle est dirigée par des échevins, souvent marchands ou fabricants de la ville : teinturiers, drapiers, tailleurs, cordonniers. Elle possède un beffroi, un sceau de ville, mais, n’ayant pas de monnaie propre, ne fait pas figure de grande puissance communale, alors qu’elle demeure une place commerciale de premier ordre.

 

Dès le début du XIIIe siècle, la présence d’un banquier, d’un changeur italien, attestent sa vitalité dans ce domaine. Elle vit aussi de moyennes et petites industries : la draperie surtout, mais aussi le travail du cuir, notamment la fabrication de souliers. Au XIIIe siècle la ville comptait une halle aux chaussures en plus de la halle aux draps et de la halle de la Guilde fondée en 1232.

Le développement de l’industrie drapière semble s’être ralenti très tôt ; Aire resta une ville drapante d’importance moyenne dont la production n’était guère exportée au-delà d’Arras sinon à Paris aux foires de Lendit où l’on signale la présence de marchands airois.

 

Le déclin de la draperie est très sensible au XIVe siècle : L’activité tend à se réduire à la sayetterie ou fabrication de serge de laine et au travail de quelques tisserands de toile et cordiers. La sayetterie était encore pratiquée au XVIe siècle, mais par quatre sayetteurs seulement ; on perd ensuite la trace de cette industrie.

 

Ces activités sont difficiles à localiser dans la ville médiévale. Tout au plus la toponymie permet-elle d’identifier quelques secteurs : celui des teinturiers, rue de la Garance (actuelle rue de Brabant), celui des tisserands, place des Tisserands (actuelle place du Castel) et celui des tanneurs dans la rue qui a gardé leur nom. Dans cette ville où l’eau est partout présente, apparente ou souterraine, les moulins ainsi que quelques brasseries en bordure de la Lys ou de ses affluents, participent dès le moyen-âge au paysage industriel.

A partir du XVe siècle, la cité gérée sans dynamisme, demeurera surtout une place forte, stratégiquement importante et un centre commercial actif, même si les guerres l’appauvrissent en la privant d’une partie de ses débouchés. Au XVIIe siècle elle connaît une nouvelle période de troubles avant d’être rattachée définitivement à la France par le traité d’Utrecht en 1713.

Les archives départementales et municipales fournissent peu d’informations sur les activités industrielles de la ville au XVIIIe siècle à l’exception de deux d’entre elles : la tannerie et le travail de la faïence. Les origines de celle-ci sont bien documentées. Cette activité nouvelle s’est exercée à Aire dès la fin de la guerre de succession d’Espagne, en 1713, encouragée par la municipalité. Le livre de compte de l’argentier de la ville qui couvre la période du 1er août 1713 au 31 juillet 1714 porte la mention suivante « A jean Dochy et Jean Dervilles, faïenciers, la somme de 500 livres pour faciliter leur établissement et la construction d’un four à usage de leur métier en cette ville… ». La faïencerie était située rue des Tripiers aujourd’hui rue du Moulin, et s’y maintient jusqu’à la Révolution.

 

A travers les sources consultées, Aire-sur-la-Lys apparaît à l’époque moderne comme un gros marché essentiellement agricole, favorisé par sa situation au cœur d’une région fertile et au bord d’une rivière aisément navigable.

Les rapports des ingénieurs du Roi rédigés entre 1710  et 1730 sont, à cet égard, une référence précieuse sur les ressources économiques de la ville : « il se fait un considérable commerce en cette ville », note le rapport de 1730… « surtout en blé, et c’est l’entrepôt des marchandises qui viennent par terre de Saint-Omer que l’on décharge au rivage et que l’on embarque sur des bateaux pour les faire descendre la Lys, pour les conduire à Lillle et ailleurs ; surtout des eaux de vie, qui abordent aux ports maritimes et arrivent par canaux jusqu’à Saint-Omer ; on les transporte par charrois l’espace de trois lieues dont le chemin est pavé ou sablé »…

Le mémoire de 1731 confirme celui de l’année précédente : … « c’est ainsi que parcourant tous ces différents endroits si propres au commerce, (Merville, Armentières, Menin, Gand) cette ville d’Aire y porte non seulement le sien mais tous ceux qu’elle fait avec Saint-omer, Dunkerque, Calais, et autres pays circon-voisins ; elle en tire des vins, eaux de vie, huiles, sels et généralement tout ce qui vient de la mer par ces ports, et le distribue dans le pays, le transporte ensuite par cette rivière de Lys, dans tous les lieux qu’on a cités et jusqu’à Gand et au-delà. On passe légèrement suer le détail de marchandises et denrées que ce canton du pays d’Artois reprend par lui-même dans tous ces différents endroits que la Lys parcourt. On s’arrête à un commerce de blé et de scorion qui est plus particulier, lorsque surtout la sortie des grains est permise pour les pays étrangers. Ce commerce est ordinairement de cinquante à soixante mille sacs pour le pays de la domination du Roi et de cent cinquante mille lorsque cette sortie pour les pays étrangers est libre. on dépose à Aire des charbons de houille, des toiles, des carreaux de marbre et de fïence, des vins et fruits du pays de la Loire, des briques d’Armentières, des bois de la forêt de Nieppe… »

Le rapport de 1730 précédemment cité donne un éclairage sur une activité particulière ; la vannerie, liée à la présence d’» osiliers » dans les fossés innondés ; « … toute la grande espace de terrains au nord de la rivière de la Lis devient aussi impraticable par se inondations, le fond étant bas, entrecoupé d’un grand nombre de fossés tous remplis d’osiers qui ne sont communs que dans ce quartier, ce qui apporte un grand revenu aux habitants du pays, c’est de branchages avec quoi sont faits les paniers d’osiers, le plantage en est si épais que l’on a mille peine d’y entrer et de les traverser… »

Le développement de cette activité ne répondait pas aux seuls besoins des habitants mais était également une nécessité d’ordre militaire : l’osier servait probablement à la confection des fascines ou fagots qui soutenaient les terres, remplaçant ainsi les murs de soutènement ou bien permettait la fabrication de gabions ou paniers cylindriques qui, remplis de terre, protégeaient contre les coups de canon. Ces nombreuses vanneries étaient situées en bordure de la Lys, près de la place du Rivage.

De même qu’il utilisa toujours l’eau dans un dispositif de défense des places fortes, le génie militaire, très tôt, mit l’accent sur l’importance que représentaient les canaux en tant que moyen de communication et de circulation des marchandises. Lors de la rédaction d’un mémoire sur la navigation, Vauban, militaire et économiste, souligne le contraste qui existe entre les villes bordées d’eau et celles implantées à l’écart des voies navigables où « tout est mal bâti, mal peuplé, mal logé et les terres nonchalamment cultivées parce que, le débit de denrées manquant, on ne cultive que pour les besoins de la vie ». Il met ainsi en évidence le caractère essentiel de l’eau dans le processus de développement économique.

En 1727, Moreau de Séchelles, alors intendant du Hainaut, mettra en application les projets formulés par Vauban. Le creusement du canal de Neuffossé joignant la Lys à la l’Aa en reprenant le tracé médiéval est achevé en 1773. Avec les travaux d’aménagement du cours de la Lys dans la région marécageuse de Merville et la mise en fonction en 1826 du canal d’Aire à la Bassée, Aire-sur-la-Lys devient un point de passage obligé de Dunkerque, Gravelines et les grandes villes de l’intérieur des terres.

Dans la ville, la Lys, dans son secteur navigable, entre le moulin Gournes (Grands Moulins) et la porte de l’eau, constitue, depuis le Moyen-âge, le Portus ou axe de développement majeur du commerce et de l’industrie.

 

A l’aube du XIXe siècle on constate un réveil des activités industrielles en ce lieu et, après cette date, le site connaît un développement continu. De nombreuses entrepôts et brasseries, grandes consommatrices d’eau, s’implanteront successivement sur les mêmes parcelles. La rive droite, favorisée par son débouché sur la rue de Brabant, fut très dense en installations industrielles.

Sur la rue des Tripiers, là où les parcelles étroites butent sur les remparts, on observe la même et constante volonté d’implanter des établissements industriels en bordure de la rivière dès que la topographie le permet.

Les cours d’eau secondaires, parfois souterrains, et la présence d’une nappe phréatique abondante semblent avoir joué également un rôle dans l’installation et le développement des entreprises de la ville.

 

Si la rue de Saint-Omer était principalement vouée au commerce, la rue d’Arras et son prolongement, rue du Bourg, étaient le lieu d’implantation de brasseries, fonderies de suif, corroieries et tanneries qui puisaient en profondeur l’eau dont elles avaient besoin.

Situées au cœur d’une région aux ressources agricoles importantes, de nombreuses entreprises airoises s’orientèrent naturellement vers des activités directement liées à cette richesse. Elles surent également tirer profit du considérable débouché que représentait la présence militaire dans cette ville. En 1813, dans une région où la fabrication de la bière était déjà une tradition, treize brasseries étaient en activité sur la seule commune d’Aire. Tanneurs, bourreliers, fabricants de vêtements assuraient l’équipement militaire. Certaines maisons comme la tannerie Lequien, rue d’Arras, établirent leur publicité sur le fait qu’elles fournissaient l’armée. La ville possédait encore en 1881 :

« outre trois casernes de cavalerie, deux magnifiques casernes d’infanterie, un manège couvert, des esplanades d’exercice, quatre poudrières, un arsenal »

Paradoxalement, la présence des garnisons, en même temps qu’un atout, voire un facteur du développement économique de la ville, fut un obstacle pour la nouvelle industrie naissante.

En effet, les interdictions militaires de construire dans un périmètre de un kilomètre autour des fortifications, auxquelles s’ajoutèrent les nombreuses polémiques suscitées par la construction du chemin de fer, dissuadèrent longtemps les nouvelles entreprise de s’établir à Aire. La ville attendra près de quarante ans pour que soit définitivement arrêté l’emplacement de la gare. Si celle-ci est enfin inaugurée le 2 septembre 1878, le problème des fortifications reste entier.

Le journal local l’écho de la Lys  relate, dans un article paru le jeudi 6 octobre 1881,  « nos grandes murailles et nos immenses servitudes viennent d’empêcher l’importante usine d’aciéries, aujourd’hui fixée à Isbergues, de pouvoir s’installer dans notre périmètre ».

 

Le démantèlement de ces fortifications ne commencera qu’en 1893, soit quinze années après l’inauguration de la gare.

 

Après la démolition des remparts, les entreprises se développent rapidement sur les parcelles laissées libres et certaines adoptent dès 1900 l’échelle des bâtiments industriels de la nouvelle génération. Plusieurs s’établiront en dehors de la ville, attirés par les nombreux avantages du site : une vaste plaine à vocation agricole, un ensemble de voies de communication, la proximité des bassins houillers, alors en pleine exploitation.

A travers l’architecture se reflète l’histoire de l’évolution industrielle de la ville. Pendant plusieurs siècles les entreprises se sont développées à l’intérieur de l’enceinte, utilisant les bâtiments existants et les dépendances de ces derniers. Les enquêtes de repérage sur ce type de patrimoine n’en sont rendues que plus difficiles. Rien ne permet, en effet, de différencier aujourd’hui les logements qui eurent une fonction industrielle des autres demeures airoises. Parfois de simples boutiques étaient la vitrine d’importants ateliers dont la production dépassaient largement le cadre local.

Ce fut le cas de chapeliers de la rue du Bourg et, en particulier, celui de l’entreprise Blondel dont rien ne subsiste aujourd’hui et qui exportait ses produits jusqu’au états-Unis. Les enseignes ont bien souvent disparu et seule la recherche parmi les documents d’archives permet de témoigner de l’existence de ces activités.

 

D’autre part, l’industrie se diversifiant, les bâtiments furent progressivement adaptés à leurs fonctions successives.

 

En ce qui concerne la fin du XIXe siècle, quoique le repérage soit facilité par la mise en place de formes architecturales spécifiques, la recherche historique demeure complexe. Après la disparition de l’édifice, en l’absence de sources écrites ou de témoins matériels, seule l’enquête orale, lorsqu’elle est possible, ets susceptible de fournir des informations.

Au début du XXe siècle, face à l’évolution du marché économique et aux différentes crises qu’elle engendra, les entreprises, pour la plupart issues de structures familiales, firent longtemps preuve de capacités d’adaptation mais ne purent résister à la vague de modernisation des structures de production. Certaines se convertirent en simples négoces et lieux de distribution. Ce fut le cas surtout des brasseries qui, comme la majorité de celles du Nord de la France, constituaient de petites unités restées fidèles à la fabrication de la bière à fermentation haute.

Parallèlement, les premières concentrations des moyens de production se manifestèrent dès la première moitié du XXe siècle sous la forme de coopératives ou celle de sociétés anonymes aux regroupements de capitaux privés. Sur le plan architectural elles coïncident avec le développement d’une architecture résolument fonctionnelle où l’emploi du béton s’impose peu à peu.

 

La nudité des structures bâties remplacera désormais les effets décoratifs que permettait la construction en briques.

Dans la seconde moitié du XXe siècle, le phénomène de concentration s’est accentué et de nos jours trois entreprises perpétuent avec succès l’activité industrielle à Aire-sur-la-Lys : Les Grands Moulins ou Moulins Guesnon, L’Avenir Rural, Malteurop, toutes issues du secteur agro-alimentaire.

 

 

En conclusion, l’accent doit être mis sur le grand intérêt de ce type de patrimoine, indissociable de l’histoire économique et sociale de la ville. Cela devrait permettre un autre regard sur l’agglomération d’Aire-sur-la-Lys, assurément ville d’art mais présente depuis toujours sur la carte économique régionale.

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